Poésie
A vol d’oiseau
Où va-t-il, l’oiseau sur la mer ?
Il vole, il vole…
A-t-il au moins une boussole ?
Si un coup de vent
Lui rabat les ailes,
Il tombera dans l’eau
Et ne sait pas nager.
Et que va-t-il manger?
Et si ses forces l’abandonnent,
Qui le secourra ? Personne.
Pourvu qu’il aperçoive à temps
Une petite crique !
C’est tellement loin, l’Amérique…
Michel Luneau
Avant-printemps
Des oeufs dans la haie
Fleurit l’aubépin
Voici le retour
Des marchands forains.
Et qu’un gai soleil
Pailleté d’or fin
Eveille les bois
Du pays voisin !
Est-ce le printemps
Qui cherche son nid
Sur la haute branche
Où niche la pie ?
C’est mon coeur marqué
Par d’anciennes pluies
Et ce lent cortège
D’aubes qui le suit.
René-Guy Cadou
L’albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boîtant, l’infirme qui volait !
Le poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Chanson pour les enfants de l’hiver
Dans la nuit de l’hiver
galope un grand homme blanc
galope un grand homme blanc
C’est un bonhomme de neige
avec une pipe en bois
un grand bonhomme de neige
poursuivi par le froid
Il arrive au village
il arrive au village
voyant de la lumière
le voilà rassuré
Dans une petite maison
il entre sans frapper
Dans une petite maison
il entre sans frapper
et pour se réchauffer
et pour se réchauffer
s’asseoit sur le poêle rouge
et d’un coup disparaît
ne laissant que sa pipe
au milieu d’une flaque d’eau
ne laissant que sa pipe
et puis son vieux chapeau.
Jacques Prévert
L’oiseau voyou
Le chat qui marche l’air de rien
voulait se mettre sous la dent
l’oiseau qui vit de l’air du temps
oiseau voyou oiseau vaurien
Mais plus futé l’oiseau lanlaire
n’a pas sa langue dans sa poche
et siffle clair comme eau de roche
un petit air entre deux airs.
Un petit air pour changer d’air
et s’en aller voir du pays
un petit air qu’il a appris
à force de voler en l’air
Faisant celui qui n’a pas l’air
le chat prend l’air indifférent.
L’oiseau s’estime bien content
et se déguise en courant d’air.
Claude Roy
Déjeuner du matin
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur la tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.
Jacques Prévert
Sonnet du chat
Le chat lutte avec une abeille
autour de sa fourrure,
je vois l’azur de ses merveilles,
un arbre, une mâture.
La mer apporte à mon oreille
le bruit des aventures
que nous vivons si tu t’éveilles
témérité future.
Je me consacre aux vertes îles,
favorables au sage
qui sait trouver un dieu tranquille
entre palme et rivage.
Le chat s’en va, brillant et beau,
pour guetter les oiseaux.
Henri Thomas
Une poule sur un mur
Une poule sur un mur
A pondu quatorze oeufs frais
Mais pendant qu’elle pondait,
Le soleil d’août les cuisait.
Un poule sur un mur
A couvé quatorze oeufs durs.
Il en sortit des poulets
Aussi durs que des galets.
C’est depuis lors que l’on voit
Folle encor de désarroi,
Une poule sur un mur
Qui picote du pain dur.
C’est depuis lors que l’on voit
Picoti et picota
Une poule qui cent fois
Grimpe au mur et saute en bas.
Maurice Carême
Le coq
Je vais fabriquer un coq de clocher,
Il sera tout noir au soleil couché,
Il sera tout blanc au soleil levant
Et d’argent brillant à midi tapant.
Vous ai-je assez dit que je vous aimais!
Mon coq de clocher ne parle jamais.
A Londres, Paris, vous ai-je attendue!
Lui, ne commet pas la moindre bévue.
J’ai perdu le Nord, il me le rendra,
Nous irons ensemble où ça nous plaira.
Henri Thomas
Cavalcade
Un cheval de lune
Courait sur le sable
Un poulain d’écume
Trottait sur la grève,
Au trot, au trot, au galop.
Un cheval d’ivoire
Courait dans le soir,
Un cavalier rouge
Traversait l’automne,
Au trot, au trot, au galop.
Un cheval de pluie
Courait dans la nuit
Un coursier de verre
Labourait la mer,
Au trot, au trot, au galop.
Et tous les enfants
Poursuivaient en rêve
Toutes ces crinières
Libres dans le vent,
Au trot, au trot, au galop.
Louis Guillaume
Le petit grillon
Le petit grillon qui garde la montagne
A bien du mérite croyez-moi
Quand de partout
Coucous et hiboux font ou
Coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
A d’autres coucous
ou d’autres hiboux
qui font à tout coup
ou coucou coucou
ou ouh ouh ouh ouh
Toute toute toute la nuit
Le petit grillon vaillant
a bien du mérite
Et qu’est-ce qui le retient
Dites-le moi
Messieurs
De se croiser les bras
et de dormir longtemps
Sa tête
Entre ses deux yeux.
Paul Vincensini
Les corridors où dort Anne qu’on adore
La petite Anne, quand elle dort,
Où s’en va-t-elle ?
Est-elle dedans, est-elle dehors,
Et que fait-elle ?
Pendant la récré du sommeil,
A pas de loup,
Entre la Terre et le soleil,
Anne est partout.
Les pieds nus et à tire-d’aile
Anne va faire
Les quatre cent coups dans le ciel
Anne s’affaire.
La petite Anne, quand elle dort,
Qui donc est-elle ?
Qui dort ? Qui court par-dessus bord ?
Une autre, et elle.
L’autre dort et a des ailes,
Anne dans son lit, Anne dans le ciel.
Claude Roy
Le premier vol de l’hirondelle
Mes ciseaux à peine aiguisés
Coupent le ciel qui se déplace.
Une brasse. Encore une brasse.
Dans l’ouverture de la nasse
– Bon hirondeau chasse de race –
Un moustique s’est enfourné.
Ce petit nid où je suis né
Comme il s’éloigne dans l’espace !
A tire-ligne d’hirondelle
C’est un nom nouveau que j’écris
Et je l’écris à tire-d’aile
Et je l’écris à tire-cri
Pierre Menanteau
J’ai vu…
J’ai appelé le terrassier
il marchait à cloche-pied
j’ai appelé le moissonneur
il jurait comme un voleur
j’ai appelé le cordonnier
il jetait tous ses souliers
alors je m’en suis allée
j’ai vu des hannetons
tâtonnant en rond
j’ai vu des limaces
faire la grimace
j’ai vu une libellule
très crédule
puis me penchant encore
j’ai vu un chou-fleur
chercher l’heure
j’ai vu un artichaut
qui rêvait d’être au chaud
chemin faisant
j’ai vu un lampadaire
le nez en l’air
j’ai vu un vélo
près de l’eau
j’ai vu un canard
en retard
j’ai vu un lapin
jouer au crincrin
puis j’ai vu des gens
mécontents
car ils ne voyaient rien
Huguette Amundsen
L’oiseau du Colorado
L’oiseau du Colorado
Mange du miel et des gâteaux
Du chocolat et des mandarines
Des dragées des nougatines
Des framboises des roudoudous
De la glace et du caramel mou.
L’oiseau du Colorado
Boit du champagne et du sirop
Suc de fraise et lait d’autruche
Jus d’ananas glacé en cruche
Sang de pêche et navet
Whisky menthe et café.
L’oiseau du Colorado
Dans un grand lit fait dodo
Puis il s’envole dans les nuages
Pour regarder les images
Et jouer un bon moment
Avec la pluie et le beau temps.
Robert Desnos
Une graine voyageait
Une graine voyageait
toute seule pour voir le pays.
Elle jugeait les hommes et les choses.
Un jour elle trouva
joli le vallon
et agréables quelques cabanes.
Elle s’est endormie.
Pendant qu’elle rêvait
elle est devenue brindille
et la brindille a grandi,
puis elle s’est couverte de bourgeons.
Les bourgeons ont donné des branches.
Tu vois ce chêne puissant
c’est lui, si beau, si majestueux,
cette graine,
Oui mais le chêne ne peut pas voyager.
Alain Bosquet
La leçon de choses
Venez poussins
Asseyez-vous
Je vais vous instruire
Sur l’œuf
Dont tous
Vous venez, poussins.
L’oeuf est rond
Mais pas tout à fait
Il serait plutôt
ovoïde
avec une carapace
et vous en venez tous, poussins
Il est blanc
pour votre race
crème ou même orangé
avec parfois collé
un brin de paille
mais ça
c’est un supplément
A l’intérieur il y a
Mais pour y voir
il faut le casser
et alors d’où -vous, poussins – sortiriez ?
Raymond Queneau
Le cerf-volant
Soulevé par les vents
Jusqu’aux plus haut des cieux,
Un cerf-volant plein de superbe
Vit, qui dansait au ras de l’herbe,
Un petit papillon, tout vif et tout joyeux.
– Holà ! minable animalcule,
cria du zénith l’orgueilleux,
Ne crains-tu pas le ridicule ?
Pour te voir, il faut de bons yeux
Tu rampes comme un ver…
Moi je grimpe je grimpe
Jusqu’à l’Olympe,
Séjour des dieux.
– C’est vrai, dit l’autre avec souplesse,
Mais moi, libre, à mon gré,
je peux voler partout,
Tandis que toi, pauvre toutou,
Un enfant te promène en laisse.
Jean-Luc Moreau
Divertissement
Trois musiciens dans une clairière
Jouent au milieu des ronciers rouillés
Pour les passants nocturnes qui errent
Sans parvenir à s’ensommeiller.
Ils célèbrent d’infimes offrandes
A l’adresse des germes éclos,
Ou des fougères qui se détendent,
Ou du vol vespéral des corbeaux.
Trois musiciens dans une clairière
En habit de velours, avec des violons,
Enseignent la cérémonie
Des instants de grâce de la terre
Non par des mots chargés de passion,
Mais la vraie musique de fête de la vie.
Patrice de la Tour du Pin
La Fenêtre
Pour les autres, pour les passants,
tu es simplement la fenêtre.
Pour moi qui t’aime du dedans
tu es ma plus profonde fête.
Celle qui accroît le regard
et limite chaque nuage,
la gardienne du paysage
où je viens me perdre le soir.
J’ai le monde sous mes paupières
mon front à ta vitre appuyé
et tu es glissante lisière
sur le bord de l’illimité.
Reste ma sœur très patiente,
fais-moi l’aumône d’un oiseau,
redis-moi les paroles lentes
de cet horizon sans défaut.
Et posée entre ciel et terre
sois ce chemin aérien
près duquel doucement je viens
apaiser ma faim de lumière.
Anne-Marie Kegels